Quand j’étais danseuse… acte1
J’ai 4 ans, allongée confortablement sur le divan de mes grands-parents, je regarde la télévision, petit écran en noir et blanc qui distille ses images sur seulement trois chaînes.
Générique.
Un documentaire retient mon attention de petite fille : « La vie des petits rats de l’opéra de Paris »…
Fascinée par ces images, je découvre innocemment ce monde inconnu, univers de demi-pointes, de petits chignons et de ports de bras gracieux.
Ces petites ballerines aux sourires timides, en collants et justaucorps impeccables, mains sur la barre, et pointes tendues, me captivent.
C’est décidé, je serai danseuse !!!
Moi la petite fille timide, je fais la demande officielle de ma voix toute fluette : « Maman, je veux aller au cours de danse !!! »
L’accord ne se fait pas attendre, et c’est donc très fière que je fais ma rentrée à l’école de danse classique de Chatou, tenue par France Richard.
J’ai à peine 5 ans, je pénètre pour la première fois dans une salle de danse, et je ne comprends pas pourquoi je ne retrouve pas les images vues à la télévision.
Je ne suis pas à l’opéra et cela se voit !
La pièce est petite, il n’y a pas de piano, mais un vieux poste à cassettes audio, le parquet est un peu abimé, et l’odeur des chaussons usés envahit l’espace.
La professeur a un air sévère, et un bâton dans les mains.
Je ne connais pas les autres petites filles et me réfugie très vite au fond de la salle.
J’ai envie de pleurer et de retrouver Maman.
Je dois tenir une heure.
Dans ma tête de gamine, c’est fait, je ne serai jamais danseuse, je veux m’enfuir de cet endroit immédiatement !!
France Richard insère une cassette pour débuter le cours, Tchaikovsky est au programme pour ce premier échauffement, la magie opère, j’écoute cette musique de façon presque religieuse.
Je m’accroche à la barre, je positionne mes pieds en seconde, je lève la tête fièrement, j’écoute les conseils de notre professeur, le virus est pris, je ne veux plus partir.
Je serai danseuse.
J’ai 13 ans.
Cela fait presque 10 ans que je viens dans cette salle toujours aussi petite, France Richard est restée élégante et racée, la rigueur est de mise, mais je crois que j’ai un profond respect pour cette femme passionnée.
La danse classique ne supporte pas la négligence ou l’à-peu-près, j’ai appris à faire des chignons serrés, à supporter les épingles qui vous rentrent dans le cuir chevelu, à me tenir droite, et à toujours tendre les pointes.
Les pointes, parlons-en…
Toute petite fille qui fait de la danse classique, a en tête le jour où elle chaussera ses premières pointes.
C’est un peu le rêve qui se réalise, l’évolution évidente de la petite ballerine qui se transforme en sublime danseuse.
Ces chaussons mythiques ne sont pas une légende, ils se méritent et valent cher !!.
Il faut presque une examen de passage pour que le professeur décide de vous passer sur pointes : les chevilles doivent être solides, le bassin suffisamment maintenu, la technique doit être maîtrisée, les os doivent être calcifiés à mort, sous peine de grave blessure irrémédiable.
Bon, ok, ça fout les jetons, mais quand on est ballerine, on en rêve, alors on oublie les risques et la douleur.
J’ai passé l’examen avec succès, j’ai donc enfin droit de chausser des pointes.
Il ne me reste donc plus qu’à acheter ma paire à moi, rien qu’à moi !!.
Dans les années 80, pas de grosse enseigne de sport bon marché, la seule boutique qui fournit des pointes, reste « Repetto », c’est donc en plein Paris que Maman m’emmène essayer, et acheter ma première paire de pointes roses, aux rubans satinés.
Ce magasin est digne des coulisses de l’opéra, des tutus blancs, des demi-pointes par centaines, des jupettes, du tulle, des volants, tout cet univers de la danse est condensé dans ses rayons qui me font écarquiller les yeux !!
Il me faut maintenant choisir mes pointes.
Comment vous expliquer cette sensation qui vous étreint au premier essayage ??
Je suis Cendrillon qui tente d’enfiler son chausson de vair…
Le pied est tout comprimé, les orteils sont recroquevillés, la voûte plantaire est cambrée à fond, mais il faut que ça se fasse…
Pas question de geindre, le confort n’est pas prévu dans ces chaussons !!
Il va falloir souffrir pour danser.
Je jette toutefois mon dévolu sur une paire qui me convient à peu près parmi les dizaines proposées, avouons plutôt que je choisis celle qui me fait le moins mal.
Je sors de la boutique avec mes nouveaux chaussons à la main, ils sont à l’abri dans un joli sac aux couleurs de la marque, je suis tellement heureuse de cet achat, que j’ai déjà hâte de découvrir mon premier cours sur pointes !
Entre rêve et réalité, il n’y a qu’un pas…De danse évidemment !!
Le mercredi suivant, mes copines du cours et moi-même arborons fièrement nos nouvelles pointes, les rubans ont été cousus par les mamans, nous allons enfin passer aux choses sérieuses : danser sur pointes.
France Richard ne nous ménage pas, la danse est une discipline intransigeante qui exige un maintien et une endurance à toute épreuve.
Les pointes font partie de l’apprentissage obligatoire en classique, et nous savons déjà que nous allons un peu en baver !
Les premiers relevés sont délicats, les pieds font mal, les pointes ne sont pas encore souples et la coque est dure comme du béton !
Nous grimaçons sans oser rien dire, il en faudra des heures d’entrainement avant de « faire » ces pointes, et qu’elles deviennent acceptables pour nos petits pieds douloureux.
Le jeu en vaut la chandelle, je ne me lasse pas de regarder mon pied cambré dans ce chausson, le maintien est joli, j’ai enfin des pieds de danseuse !!
C’est l’époque où je passe des heures à m’entrainer avec mes copines.
Réussir une pirouette à deux tours, réaliser un cambré parfait, faire le grand écart, s’envoler dans une sissonne légère et aérienne sont nos principales préoccupations !!
Lorsque vient le mois de janvier, le moment tant attendu de préparer le gala de fin d’année arrive .
Le rituel pour l’annonce du ballet choisi est alors toujours le même : toutes les élèves des différents cours se réunissent face à France Richard, instant sacré où le secret si bien gardé est enfin divulgué.
Notre professeur insère la cassette, appuie sur « play », notre cœur bat presque la chamade.
La musique nous est livrée tel le cadeau de tous nos efforts d’une année.
Nous sommes censées deviner quel ballet se rapporte au morceau choisi, notre culture musicale est restreinte au monde de la danse, mais chacune de nous connaît ses classiques, et nous reconnaissons rapidement le dit ballet :
« Gisèle », « Casse-noisette », « La sylphide », ces incontournables ne nous font plus peur, et pourtant….
J’ai 14 ans.
L’annonce de ce dixième ballet auquel je vais participer, a une saveur particulière.
La présence du très célèbre chorégraphe Roland Petit dans notre petite salle de danse, nous intimide et nous inquiète !
Nous sommes sages comme des images, impatientes toutefois de savoir ce qui nous attend
Le cadeau surprise est double : d’une part, le ballet sera « Le lac des cygnes », l’oeuvre star du monde classique, gros morceau de la danse, dont nous rêvons toutes.
Et, d’autre part, deux invités de marque se joindront à nous pendant ce gala, Roland Petit nous permettra en effet de danser avec deux étoiles de l’opéra de Paris !!!
Tout se mélange dans nos jeunes têtes, c’est à la fois grandiose et super angoissant, nous allons devoir être à la hauteur, et juste être parfaites !!
L’excitation des costumes, de la scène, les chorégraphies à orchestrer pour un ensemble harmonieux, prend vite le pas sur tout le reste.
Nous avons six mois pour répéter inlassablement et connaître sur le bout des orteils chaque pas, chaque saut, chaque pirouette.
C’est un joli défi que nous avons envie de relever avec bonheur !
Madame notre professeur va en profiter un peu pour abuser de son autorité et de ses coups de gueule.
Elle veut la perfection et elle l’aura, ne pouvant décevoir son ami Roland, elle en oublie parfois que nous ne sommes que de jeunes élèves amateurs !!
Il faut avouer que l’adolescence n’est pas un âge facile pour cette discipline si rigoureuse.
Je dois dire qu’à cette époque, j’ai un peu de mal à accepter de me faire rabrouer pour une erreur sur un pas de bourrée ou un grand jeté…
Et l’ambiance en est parfois plus que tendue.
Malgré tout, le ballet prend forme, des longues heures d’entrainement vont être nécessaires et indispensables pour aboutir à un spectacle de qualité, nous ne lâchons rien, l’ensemble doit être parfait.
Les pieds sont douloureux, les jambes tremblent, les mémoires flanchent parfois sur les enchainements de pas, mais nous rêvons déjà de cette chance inouïe de partager les planches avec ces stars de la danse.
La première répétition avec les étoiles nous rend euphoriques, nous dansons aux côtés de nos idoles, nous les observons, rêvons de les imiter, en sachant que nous ne les égalerons jamais.
L’inaccessible est sous nos yeux, nous en sommes tellement conscientes.
Pour ce ballet, rien n’est laissé au hasard, surtout pas les costumes.
L’essayage est un véritable rêve éveillé, je passe de la jeune ado acnéique, sorte de vilain petit canard, à un joli cygne blanc.
Diadème de plumes authentiques planté dans les cheveux, tutu blanc au tombé amidonné, maquillage discret, pointes, je suis prête à affronter ce rôle dans le corps de ballet !!
Le jour de la représentation arrive, le public est venu nombreux grâce à la publicité faite autour du plateau relevé.
Aucune de nous ne tient plus en place, nous savons quelque part que nous ne revivrons pas ce genre d’expérience de sitôt.
Lorsque le lourd rideau de velours s’ouvre, les premières notes envahissent la salle, mon cœur s’est accéléré, je ne dois rien oublier de mes pas, j’ai le trac mais je suis heureuse.
La danse envahit l’espace, le pas de deux de nos étoiles est un véritable enchantement.!
Ce ballet est sous le signe de la magie, et nous en sommes les premiers témoins..
Le spectacle est un succès incroyable, le public a adoré, les journalistes prennent des photos, nous avons notre petite heure de gloire, et posons sous les crépitements des flashs, accompagnées de ces merveilleuses étoiles de la danse.
Maman et Papa sont évidemment fiers de ma prestation, et me félicitent à la sortie des artistes.
Je ne le sais pas encore, mais le lac des cygnes sera mon dernier ballet de danse classique et restera un souvenir inoubliable, je peux l’avouer aujourd’hui, les premières notes de cette fameuse intro du lac des cygnes, me donnent encore le frisson !!!
J’ai arrêté la danse classique à 14 ans, raccroché les pointes, et rangé le tutu blanc.
Durant ces dix années de pratique, j’y ai appris la discipline, la rigueur, j’ai dû vaincre ma timidité, oublier ma pudeur, et découvrir le trac face au public.
Je crois aussi que j’ai juste grandi.
Mon regard de petite fille n’a pas changé, la vision d’une ballerine me provoque toujours une vive émotion, j’aime cet univers fascinant de la danse, et ce n’est pas notre dernière visite à l’opéra Garnier qui va freiner cette passion.
Commentaires version précédente
23 octobre 2013 à 03h31min – par hubiche Mélanie
Merci bcp pr ce très joli témoignage…
Hier j ai sorti d un carton mes vieilles pointes de petite fille ds lesquelles j avais écrit « un jour j y reviendrai »
J ai moi aussi appris là danse avc Mme France Ri hard, mais en Normandie ds ls années 80, après le dramatique accident de voiture de ma jeune prof de l époque, sa nièce je crois me souvenir… Quelle émotion pour moi de là reconnaître sur cette premiere photo, ainsi que tt ls souvenirs que cela m evoque. Notre premier ballet avc elle fut Gisele et je me souviens de l epaisseur de cés costumes oranges ainsi que de leur odeur comme hier. Le soir du gala , France m à giflee parce que je ne trouvais plus mon accessoire… mes amies s en souviennent encore et ns en rions de bon coeur. En effet je me souviens de là rigueur de cette grande dame ms surtt de ses magnifique piquets-tournés
merci merci pr ce retour en arriere d autant plus émouvant pour moi que ce soir je viens de terminer un stage de classique après 10 ans d arrêt.Comme je ne trouvais pas le sommeil, je repensais à ttes c années et me voilà tapant par curiosite :France Richard …là suite vs venez de là lire 🙂
Bien à vs
Mélanie
24 mars 2012 à 10h35min – par Gégé
Salut belle Sandrine.
C’est magnifique : j’ai déjà relu 3 fois ce texte depuis hier. Je pense que toutes celles et ceux qui le liront se replongeront naturellement dans leur enfance pour y retrouver leurs propres émotions, ces émotions extraordinaires que ce texte à su si bien traduire.
En te « voyant » faire tes premiers pas de danseuse future étoile, je me suis revu faire mes premiers pas de basketteur, celui qui se rêvait en « dunker » fou, qui n’aura jamais ensuite dépassé 1m60. En imaginant ton professeur de danse, j’ai revu mon premier entraineur. En te « voyant » lors de ton 1er gala tes lecteurs vont se rememorer leur première apparition en public : qui son premier match, qui son premier spectacle, qui sa 1ère remise de prix….
Merci Sandrine de nous permettre ce petit retour dans l’enfance, tes écrits sont un vrai régal.
24 mars 2012 à 09h13min – par catherine
comme a chaque fois tu arrives a nous entrainer dans ton monde … je ne suis pas une fan de danse classique, mais j’ai des frisssons a lire ces lignes .. bravo tres beau
!!!
23 mars 2012 à 22h42min – par Lanfranchi
J’ai adoré tes premiers pas en tant que ballerine ! J’ai dévoré ton récit !!!! Bravo et merci de nous avoir fait partagé cette tranche de vie !