J’ai failli basculer
Basculer : Passer brusquement d’un état à un autre de façon irréversible . (le petit Robert)
Je ne savais pas que ce verbe si anodin, devait un jour, rythmer mon quotidien.
SE SORTIR DE LA MELASSE
Janvier 2007, je franchi à nouveau la ligne d’arrivée du raid28, mais à quel prix ? je suis fracassé pire que ma première fois. Que ce passe t-il Domi ? Où est ton envie ? Pourquoi ne te régales tu plus de ces balades ?
Mars 2007, c’est décidé, je vais tourner définitivement la page « course à pied ». Le semi marathon de Rambouillet sonne le glas. Je m’ennuie sur ce parcours en forêt, je marche et me demande ce que je fous là ...
Si Sandrine, Alain et Philippe n’avaient pas été présents, j’aurai pris la poudre d’escampette depuis longtemps.
Quelques semaines plus tard cette impression se confirmera sur le trail de Chevreuse. J’ai lâchement abandonné Alain sur le parcours. Je suis bien à ne rien faire, vautré sur la pelouse, sous un soleil printanier. J’admire ces coureurs qui terminent ce parcours infernal, et je me rends compte que ce n’est plus pour moi. Je suis fatigué, quelque chose s’est cassé. J’arrête tout !!! je vais jouer à la pétanque. Laissez moi basculer.
Avril 2007
T’en as, ma poule ?
?? euh oui !!!
Ok ! j’entrouvre les portes de l’enfer, à toi de franchir le pas !! tu voulais du piment dans ta vie. Je te le sers !!
Le Grand Raid de la Réunion ? T’es dingue ?
Oui mon pote, on y va tous les deux, et on bascule dans la folie !!! Alors ça te tente ?
Oups Oui
Les propos de Pierre résonnent dans la tête. Et si c’était le coup de pied au cul que j’attendais, et si j’arrêtais de m’apitoyer sur mon sort, et si je me bougeais les fesses ? Bouge toi, Domi !!!
Pierre alias Soul94, après quelques rencontres virtuelles au travers de forums ou de chat, une soirée délirante partagée à St Gemme, et quelques courses communes courues dans la bonne humeur, le courant passe entre nous.
On sera complice un peu plus tard sur un mini raid, deux gamins lâchés dans la nature en pleine nuit. Il descend tout juste de la table d’opération et je ne devrai pas courir non plus. On s’en fous, c’est que du bonheur alors on se gave. J’en glousse encore quand j’y repense.
Alors quand il me propose de l’accompagner sur le Grand Raid, je ne peux refuser ...
J’ai peut-être donné mon accord un peu trop rapidement, je suis un peu trop spontané parfois, et mon côté bourrin prend parfois le dessus...
Voyons Domi ...est ce raisonnable ?
Tu ne cours plus, t’as pris du poids (la bascule s’affole), tes progrès à la pétanque sont remarquables mais inutiles pour ce défi qui s’annonce monstrueux !!! 150 km et plus de 9000m de dénivelé !!! On le surnomme aussi la diagonale des fous, tout un programme !!!
Soyons donc pragmatique !! faisons le bilan des forces en présence et voyons par quoi commencer avant de s’engager définitivement.
Mes points forts
Mon poids, il est trop fort
Je ne suis pas fou, je suis donc lucide (enfin c’est ce que je crois ?)
Je me suis économisé ces 2 derniers mois en ne faisant pratiquement plus de sport. Je suis donc un homme « frais » et reposé.
Mes points faibles
Le chocolat, j’adore le chocolat, c’est mon point faible ... et la bière aussi, ...et ...j’arrête là
Mon poids, il n’est pas faible
Mon état physique : lamentable
Mon envie, je n’en ai plus
Mon vertige, même en haut d’une échelle.
A la lecture de ce bilan si positif, il me paraît important de me tester au plus vite, de me faire soigner ou de me faire interner définitivement. Je me donne un mois pour retrouver une activité sportive de débutant et participer fin mai au Raid Epernon. Si à l’issue de ce raid, je suis heureux (beinh oui, dans mes points forts et faibles on peut compléter la liste par : simplet), je vais à la Réunion, sinon je suis ma première idée : je deviens champion de ma rue de pétanque ou de frisbee.
Juin 2007 - Dossard 520. Vous l’avez deviné, j’ai failli basculer
J’ai maintenant 21 semaines pour m’affûter, me préparer pour cette épreuve de dingues.
Je pars de zéro et au fil de ma préparation, je dois retrouver des sensations d’antan. Refaire scintiller la petite étincelle de l’envie. Faire table rase du passé, oublier la collection d’abandons (je suis devenu grand maître et spécialiste en abdication), aller de l’avant.
Pendant cette longue préparation je vais redécouvrir la joie de chausser les running par tous temps et à toutes heures. Je m’amuse enfin, c’est redevenu un plaisir. Je suis à nouveau heureux sur les sentiers.
Fin septembre 2007
7 à 8 kilos de moins sur la bascule, 1000 km et 20000 m de dénivelé plus loin, je suis redevenu un combattant, vieux mais un guerrier quand même.
11 semaines de préparation générale et 9 semaines de préparation spécifique ont eu raison de mes doutes.
Je suis prêt à en découdre avec le Grand Raid. Je suis bien dans mes baskets, pas de pression, pas de doute, pas d’obsession, pas d’inquiétude particulière. Je suis zen face à cet évènement qui s’approche à grands pas.
Dans moins de 15 jours nous serons sur l’île intense. Je n’ai ni stratégie ni dessein, uniquement prendre mon pied, et le faire partager. Ma vision du parcours se résume à la rédaction d’un road book personnel, commenté avec les quelques informations fournies par l’organisateur (c’est un truc de malades), et complété de messages d’encouragements par Sandrine. Ce sera mon énergie.
Ma stratégie sera donc des plus simple. : Pas de prise de tête, bien malin qui pourrait me dire dans quel état je serai après 10 heures de course ou plus.
On part à 2 (Pierre et moi), et on arrive à 2. La course ne commence qu’à Cilaos. Crache là mon frère !!!
J’ai failli basculer dans la mélasse
OPERATION GRAND RAID DE LA REUNION
Lundi 15 octobre
C’est donc fringant que je débarque sur le tarmac de l’aéroport de Saint Denis. 10 heures de voyage pendant lequel j’ai dormi comme un bébé. N’en déplaise à certain .
Pascal nous attend, il nous offre le gîte pendant notre séjour à deux pas du stade de la Redoute. (je vous épargne les jeux de mots que nous avons inventé autours du catalogue). Il nous explique pendant le trajet que nous allons participer à l’équivalent du tour de France. L’engouement, la passion pour cette épreuve sont extrêmes. Ici on vit, on respire grand Raid depuis quelques jours, quelques mois.
Je dois paraître bien naïf auprès de notre hôte, nous sommes aux antipodes. Je ne connais rien de l’île et du parcours (c’était une volonté, je ne voulais pas lever le voile du mystère trop tôt). Il connaît chaque sentier. Sa préparation a été des plus stricte, je suis sidéré de cette précision d’horloger. Tout est quantifié, millimétré, ...alimentation, temps de passage, assistance, ...
Il connaît le parcours par cœur, ses temps de passage par secteur, la carte annotée et affichée dans le séjour en atteste.
Quelle carte !!! Je suis abasourdi par la densité des courbes de niveaux, le relief de l’île vous saute aux yeux, inutile d’être un expert en lecture pour décrypter.
Nous avons quelques jours pour nous imprégner et découvrir cette île.
Pêle-mêle, nous siesterons sur la plage, ripaillerons dans quelques restaurants, nous gaverons de samoussas sur les marchés colorés, de cari, de rougails et autres spécialités locales.
Nous ne découvrirons pas les paysages de Mafate pour cause de brouillard, ça restera un mystère. Nous vivrons au rythme du jour qui commence tôt, de la nuit qui tombe brusquement, des embouteillages sur cette voie du littorale qui bascule au gré des travaux et des intempéries.
Cette l’île vous accapare, attention danger .
Accessoirement nous récupérons notre dossard au stade de la redoute (ce ne fût pas une mince affaire), et nous préparons tant bien que mal un sac d’assistance que mes collègues de la DDE emmèneront à Cilaos.
Le jeudi, nous sommes enfin prêts. Je ne réalise pas que nous sommes le jour J. J’aborde cette épreuve confiant (trop peut-être), je réussis même à dormir 2 fois 45 minutes l’après-midi. Etonnante sérénité, mais tellement agréable après une longue période de doute.
Le dîner se fait dans le calme aux rythmes de la station RER (Radio Est Réunion), la radio qui nous transporte. Pour l’instant elle nous véhicule au Québec avec un spécial « Titanic et Co »,... C’est du lourd !!!
Nous avons une petite pensée pour toutes « les oreilles » scotchées aux enceintes de leur ordinateur, il leur faudra se gaver de café pour éviter le naufrage du sommeil.
LACHEZ LES FOUS !!!
Direction Cap méchant, le silence s’est installé dans la voiture, Mathias conduit prudemment (comme il en a pris l’habitude). Sandrine ne me lâchera pas la main du trajet de peur et pour m’envoyer ses ondes positives.
Pierre et moi sommes concentrés, silencieux, et secoués aussi par la conduite cool de notre chauffeur.
Sacré Mathias, un bras dans le plâtre ne l’empêche pas de martyriser la boite de vitesse, c’est un manège à sensation à lui tout seul.
Pas le temps de gamberger, d’hésiter, nous suivons le flux des coureurs qui nous mène vers le parc de départ.
Nota : Je profite de cette longue file d’attente pour vous faire l’inventaire de mon équipement.
Un sous tee-shirt technique favorisant l’échange thermique, un zoli tee-shirt technique manche courte blanc pour être tout beau sur les photos (beinh oui, on peut être bourrin et coquet), et un très très très joli tee-shirt en coton estampillé « diagonale des fous » que j’enlèverai dès que je le pourrai. Soit 3 couches que je modulerai selon les températures rencontrées.
J’ai opté pour les manchons amovibles sur les bras, un cuissard court, des chaussettes et des Montrail Hardrock.
Cette tenue très sexy est accompagnée d’un sac à dos de chez Décat. Le 10 Litres où j’ai glissé, une pharmacie, une couverture de survie, une poche à eau, un vêtement de pluie, un poncho jetable, une bouteille de coca de 50 cl, 3 gels , 3 barres, et du PQ.
Cet ensemble est complété par une ravissante poche ventrale orange où le portable, l’appareil photo et mon road bock sont facilement accessibles
Une fois les sacs contrôlés, les fous sont parqués dans le sas de départ. C’est donc officiel, nous sommes dangereux, contagieux, ...
Double clôtures, cerbères (pas sympa) dans le couloir nomad’s land, c’est le couvre feux. On ne communique plus avec l’extérieur, seuls les regards complices sont tolérés ...Pince moi j’hallucine !!!
Tous vêtus du tee-shirt sponsorisé obligatoire ...tu ne peux t’évader, si tu t’échappes, t’es repéré illico, tirent-ils à vue ???.
Cette situation est étrange, dérangeante, elle gâche l’idée que j’avais de partager ce rendez-vous, ...
Un sourire, un coucou de la main, nous nous séparons ...
A quelques minutes du départ, nous retrouvons Béatrice et Nicolas dans la cohue, derniers échanges, dernières blagues, derniers doutes, dernières questions, ...
Vous partez vite pour éviter les bouchons ?
Euh non !! c’est pas notre style !! on s’économise jusqu’à Cilaos, nous ne sommes pas à 30 minutes près, après on verra.
Le temps passe étrangement vite, je suis bien, serein, décontracté, ...le décompte s’égrène déjà
10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, ...
les premiers sont déjà partis en bordel groupé ...allure tranquille comme pour un 10 km, ce sont des fous. Les meilleures places pour l’ascension du volcan sont visiblement chères. Trop chères pour nous. On marchera.
OBJECTIF : LUNE
Nous voilà aspirés dans un tourbillon, pousser, serrer, coincer, plus de 2000 personnes s’engouffrent dans une sortie trop étroite. On s’évade en force !!!
Ça crie, ça hurle, c’est le bordel !!! je vais sortir la boite à gifles.
Enfin libre. 3 à 4 km de bitume nous attendent, je regarde à gauche, Pierre à droite. Vu la foule, il y a peu de chance que je retrouve Sandrine, dommage.
Elle est là, ma petite blonde, debout sur un muret à regarder le défilé de frontales, à crier ses encouragements. Gros bisous ma chérie. A toute à l’heure, on a une visite guidée du volcan ...allez un dernier bisou pour la route, et hop.
Au fil de notre marche rythmée, le calme revient, chaque coureur trouve son allure, les lumières de St Philippe s’estompent, les supporteurs se font plus rares.
L’aventure commence enfin
Il ne fait ni chaud ni froid, je suis bien, extrêmement bien. Merci Pierre...
Virage à gauche, adieu la civilisation, bonjour le volcan ...
La première partie est sans surprise, elle est comme on nous l’avait décrite, c’est un long chemin stabilisé qui nous mène au sentier du volcan. De lacets en lacets nous grimpons.
On en profite pour réciter notre stratégie et se persuader (comme s’il le fallait vraiment) que c’est la meilleure.
Arriver à Cilaos « Frais »
Pas d’efforts superflus d’ici là - On ne casse donc pas de la fibre musculaire inutilement en faisant le guignol dès que le parcours deviendra roulant.
Faire preuve de patience. Ne pas céder à l’euphorie ou à la fatigue passagère.
Se régaler les yeux
Ne pas négliger l’alimentation et l’hydratation. Faire le plein de la poche à eau à chaque fois que c’est possible, remplir la bouteille de Coca, grignoter en alternant le sucré et le salé
Déjà le premier ravitaillement, puis le second mais aussi la fin du long chemin roulant.
Place maintenant à un sentier très étroit, plus technique, plus glissant. La végétation est plus dense, il fait plus sombre. On s’enfonce dans la forêt. On y grimpe aussi
On y rencontre des pourcentage de pentes plus importants, on s’aide parfois des mains, on se mouille les pieds, ce sont l’occasion de gros ralentissements et de petites discussions improvisées.
Ça y est !!! on est dedans !! la course est vraiment lancée et je m’y amuse comme « un fou ».
Je ne vois pas le temps passé et le jour commence à pointer.
L’angoisse monte, sera t-on à la sortie de la forêt pour voir le soleil se lever.
En se retournant, on aperçoit au loin l’océan et on devine le littoral ... vite, une course improvisée s’organise.
Voir le soleil au dessus des nuages, voir le volcan, voir les couleurs matinales repeindre le relief, ...
C’est féerique, à chaque pas des tableaux plus exceptionnels des uns des autres se succèdent ...
P**** c’est beau à en pleurer.
T’as raison Pierrot, ça valait bien la peine de se bouger un peu l’entraînement.
Et ça continue à vous prendre les tripes , à vous tirer quelques émotions des yeux, la végétation se fait plus basse, le sol se transforme, la roche est plus sombre, plus noire. On devine des anciennes coulées de lave, ... Pince moi, j’hallucine encore
C’est incroyable, fascinant. J’en prends plein les yeux, plein les poumons (nous somme à plus de 2000 mètres).
On marche sur de la pierre ponce, les semelles de chaussures s’y accrochent comme jamais, ... Je ne sais où donner du regard, je surveille mes pieds et cette foulée étrange, je balaye à droite à gauche, je lève parfois la tête. Le temps est idéal, bleu, ensoleillé et les nuages encore bas. Je découvre ce paysage lunaire sur des kilomètres.
Les raideurs forment une longue procession vers l’infini semble t-il.
Sandrine et Mathias nous font la surprise de nous rejoindre bien avant le ravitaillement, c’est géant de pouvoir partager nos premières impressions. Tout le monde est enchantée, conquis par ce panorama.
Un rapide coup d’œil depuis l’oratoire St Thérèse (il devait être le point le plus haut), puis nous prenons direction Mare à boue
MARE A BOUE, BOUT DE FICELLE ...
Selle de cheval, cheval de Troie, ... je me surprends à fredonner cette comptine, je suis si bien sur ce parcours.
Peu à peu les paysages changent à nouveau. La végétation reprend ses droits, La brume s’installe. La pluie des jours derniers a détrempé les sentiers.
Mare à boue porte bien son nom.
C’est aussi le point de rencontre le plus accessible pour les spectateurs,
Le public se fait plus dense, plus bruyant, nous sommes encouragés sans relâche, Allez Dominique, Allez Pierre,
La caravane du tour est peut-être passée depuis longtemps, ainsi que les leaders, mais ils restent là, pour encourager, acclamer ce gruppetto qui ne vise que de rentrer dans les délais.
A l’approche de Mare à boue, les abords de la route se sont transformés en camp de base pour coureurs organisés et hyper assistés.
Des marmites mitonnent, les tables de pique-nique sont installées, des tentes s’improvisent en salle de soin ou de repos, c’est surprenant ... Pascal avait raison, nous sommes à mi-chemin entre le tour de France et la kermesse.
Pierre et moi, seront plus classiques, et prendrons notre repas au ravitaillement officiel en compagnie de Sandrine et Mathias. Une soupe, un poulet riz, une rasade de coca.
Le hasard me permet de mettre enfin un visage sur Tamiou, C’est trop drôle ce rendez-vous improvisé à 10000 km de chez nous. Que le monde est petit. Il m’explique qu’il n’a pas pris le départ, une blessure récurrente le harcèle.
Une petite demi heure de pause et nous voilà repartis en compagnie de Line. Ce fût notre rayon de soleil sur les chemins détrempés qui nous mène à Kerveguen.
On fait connaissance, on parle de tout et de rien, de son île si belle, de notre première expérience sur ce grand raid. De nos doutes à venir, de Mafate qui se dessine ...
On fait aussi la connaissance avec les fameuses échelles. L’outil le plus simple pour changer de dénivelé. C’est amusant et limite dangereux, c’est le folklore du grand Raid.
Pierre marque des coups de fatigue, impossible de se poser dans ce bourbier, il faut avancer encore et encore, ne rien lâcher. Je monte facilement. Ses sentiers boueux me rappellent mes balades hivernales, j’adore cela sauf que j’ai très froid aux pieds et qu’il est impossible de courir pour les réchauffer. Rappelle toi, Domi, sois patient !!! reste Zen !!! cool mon pote !!!
Enfin un endroit sec pour poser un cul. Je fais signe à Line de continuer, On échange les numéros de téléphone pour repartir ensemble de Cilaos.
Je vais attendre Pierre en difficulté et l’inviter à dormir 10 minutes. Pas plus !
Une micro sieste et un gel plus tard, nous voici à l’approche du ravitaillement de Kerveguen.
C’est la fête ici, musique à « donf » à 2200 mètres d’altitude. C’est soirée disco.
Les bénévoles sont tout heureux d’apprendre par la radio qu’ils viennent d’être désigné Meilleure Ambiance .
On reprend des forces avec une excellente soupe puis direction la modification de parcours de dernières minutes. Cette année, on continue notre progression vers le refuge du piton des neiges ( plus de 300 mètres de dénivelé supplémentaire), et l’on basculera ensuite vers Cilaos.
Il paraît que c’est plus facile ainsi.
C’EST QUAND QU’ON BASCULE ?
Fini la boue, et l’humidité. Enfin !
Place à la caillasse, la vraie, la grosse, celle que l’on escalade parfois,
Fini la trace bien visible que l’on suit presque tranquillement
Bonjour, le sentier à peine visible et peu balisé. Si tu hésites : Grimpe et va tout droit...
La montée est interminable. La bonne nouvelle s’est que l’on ramasse du monde. On grimpe mieux que la moyenne.
Des petits groupes se forment et progressent ensemble, l’union fait la force, d’autres se reposent. C’est encore loin le sommet ?
Ché pas !! je ne crois pas !! après ce bloc là on Bascule !!
Le bloc est passé et toujours pas de bascule
Allez encore un petit effort et on bascule
Ça ressemble à un sommet, on va basculer
Perdu, ça grimpe encore et après on bascule
Tout le monde a ce mot à la bouche : BASCULER
Basculer vers Cilaos, puis basculer vers Mafate.
On aperçoit enfin, le refuge du piton des neiges, la bascule est toute proche, enfin !!!
Oh con !!! cette vue !!! ils ont enlevé le décor !! y a un gros trou à la place et un sentier qui fonce droit dedans. C’est l’enfer ? déjà ? Les malades !!!!
1200 mètres plus bas, on devine Cilaos.
Je ne vais pas m’attarder, je n’aime pas ces situations, et je ne vais pas me laisser le temps d’être envahi par le vertige.
Je dévale la pente comme un fou que je suis.
Je peste, je rage. Il est hors de question que cette saloperie de vertige me terrasse
J’ai les yeux remplis de colère et de rage.
J’enchaîne les virages les uns après les autres.
Pierre a du mal à me suivre. Je ne peux m’arrêter tant que je devine ce vide.
On rattrape un groupe de pompiers qui descendent un blessé. L’attente m’est insoutenable. Je coupe droit dans la pente pour récupérer le lacet inférieur. Allez hop, dépassement. Pierre rigole, et pense que je suis dingue.
Peut-être 200 à 300 mètres de dénivelé avalé, la végétation me cache un peu plus la vue, je reprends mon calme et une allure plus tranquille. Je l’ai vaincu !!!
On ne le sait pas encore, mais cette pente sera notre perte. Elle deviendra au fil du temps un véritable calvaire où l’on perdra plusieurs fois l’équilibre en glissant sur des rondins de toutes tailles.
Les genoux fatiguent, mais tiennent bons, la cheville craque et me lâche. Impossible de poser correctement le pied, je descend en crabe, rondin après rondin. La nuit nous a rattrapé, fini les vues vertigineuses, place au halo de lumière de quelques mètres devant nous.
On aperçoit des lumières en contre bas, elles semblent si proches et si lointaines à la fois mais jamais nous nous en rapprochons. Cette descente est terrible et nous malaxe.
C’est quand on bascule ? quelle question à la con quand j’y pense !!
J’avertis Sandrine que nous avons pris un peu de retard, que deux des frontales qu’elle peut apercevoir dans la pente sont les nôtres. Et que l’objectif d’arriver frais et dispo à Cilaos vient de s’écrouler.
On rejoint péniblement la route et le bitume pour 4 km jusqu’au stade de Cilaos. La tête gamberge. C’est très con de se flinguer ainsi, tout était si bien.
Je suis rejoins par un concurrent aussi entamé que nous et qui réfléchis à voix haute
Continuer ou abandonner ? Là est la question .
Abandonner, c’est dans quelques minutes, fin de l’aventure, on rentre chez nous et on revient quand on peut
Continuer , c’est se refaire une santé à Cilaos. Manger, dormir, se doucher même.
Attendre la barrière horaire d’une heure du matin et repartir,
Il n’y aura que 4 heures à faire dans la nuit .
Marla au petit matin
Mafate sous le soleil toute la journée.
Et dormir à deux bras.
Il restera alors 30 km à faire dimanche matin pour une arrivée après 60 à 64 heures.
Servit comme ça, ça vous glace le dos. Moi qui n’avait envisagé que 2 nuits dehors.
Cerise sur le gâteau, L’accès à Mafate se fait à pied, la sortie aussi. Tu y rentres et tu t’en sors seul.
Une pause à Cilaos sera la bienvenue pour réfléchir calmement
L’arrivée à Cilaos ressemble un peu à prison break, les deux évadés se sont fait cueillir et retourne à la prison.
Il fait nuit, on boite bas et le moral est dans les chaussettes. L’accès au pointage est rigoureux et peu accueillant. Une sorte de cour carrée entourée de hauts murs, un cerbère filtre les entrées. Ça fout les boules.
Sandrine et Mathias nous attendent, impatients. Ils sont fatigués et tentent de dissimuler leur inquiétude. Ils ont les traits tirés, j’ose imaginer les notres.
Les collègues de la DDE nous récupèrent et nous emmènent dans un lieu plus chaleureux.
Le confort est sommaire, mais le feu dans la cheminée fait du bien. On essaye de manger un peu, mais l’appétit n’y est pas. Je me triture l’esprit. Dois je basculer dans Mafate ? Est ce raisonnable avec une cheville en vrac ? J’ai compris que Pierre a déjà fait son choix.
Je me sens capable de grimper le Taibit, mais après je descends comment ?
Je suis debout devant la cheminée, perdu dans mes pensées. Bertrand m’appelle, je suis touché, il tente de me persuader de repartir de suite. Je l’entends, le comprends mais je doute et me sens si impuissant.
Merde !! c’est trop con. !!! Il reste 80 kilomètres, 6000 mètres de dénivelé négatif à affronter avec une cheville fragile et enflée.
Je réfléchis, encore et encore, j’écoute les avis, les réconforts, ... j’ai choisi
Je ne basculerai pas. Pas cette année
LE SEISME KIKOUROU
Je me réveille à St Denis. La nuit fût courte mais réparatrice. Je n’ai pas d’idée sombre, juste une cheville plus imposante qui me persuade d’avoir fait le bon choix.
Il m’a semblé entendre Pascal rentrer cette nuit. Je lis son exploit : 22 ème. J’imagine sa joie. Son travail a été récompensé.
Thierry a gagné. Trop bien.
Les français ont pris une raclée (une de plus) contre les argentins. Rien de prévu ce matin, j’avais initialement balade dans Mafate, mais j’ai décommandée. Nous allons passer la journée sur le stade, et la rythmer avec l’arrivée des copains.
Les arrivées sont toujours un spectacle fort, et suivent presque toujours le même rituel. Le coureur en termine sur la piste et ses proches traversent à grandes enjambées la pelouse pour immortaliser cet instant.
Que de moments d’émotions, j’aurai aimé offrir cela à Sandrine.
La nuit approche, tout le monde n’est pas rentré. On envisage de regarder la finale du championnat du monde de rugby sur l’écran géant et profiter ainsi des nombreuses arrivées qui se succèdent.
A quelques pas de nous, je surprends une conversation . Un type, il semble être de l’organisation.
toujours pas de nouvelle de la souris, je sais qu’elle s’appelle Virginie, elle doit être sur le parcours mais je ne sais où ...
Euh excusez, vous cherchez Virginie, y a un problème ? elle est blessée ??
Non non , soyez tranquille !! je cherche des kikoureurs !!
Euh on est là !!
Vous êtes des kikoureurs ?? Vous existez vraiment, on vous cherche depuis 24 heures. Notre serveur a explosé plusieurs fois, On veut comprendre le phénomène. 7 messages sur 10 sont des messages pour les kikoureurs. C’est du délire.
Vous connaissez la suite, mais vous n’imaginez pas la vague d’émotions qui nous a submergé. Quel voyage !!
ET DEMAIN ?
Lundi, je reprends l’avion gonflé à bloc, des projets plein la tête. Je n’ai pas de regret, un soupçon de déception de n’avoir pu offrir ma médaille à Sandrine. Elle le mérite tant.
J’ai vécu intensément sur l’île, je n’y ai pas survécu , pas encore, mais je reviendrai.
Merci aux Mousquetaires de cette aventure
Sandrine, Pierre, Mathias
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